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Un toit à partager

Publié le 14/12/2017

Faire bénéficier les jeunes d’un logement chez une personne âgée, avec l’objectif de recréer du lien entre les générations, c’est la mission que s’est donnée une association lilloise pour lutter contre la solitude et le repli sur soi.

« Après avoir élevé cinq enfants, je me suis retrouvée seule chez moi, avec des chambres vides. J’avais envie de rendre service et de ne plus être seule. » Depuis sept ans, Claudine, 81 ans, partage sa petite maison de Hem, dans la métropole lilloise, avec des étudiants ou des jeunes travailleurs. Épaulée par l’association Générations et Cultures, qui développe le logement intergénérationnel dans le Nord, elle y puise, comme celles et ceux qu’elle héberge, un réel réconfort. Rompre avec la solitude, se sentir utile, recréer la douceur d’un foyer ou retrouver l’envie de préparer des repas pour deux sont quelques-unes des motivations avancées par les seniors dans le choix d’héberger chez soi un jeune à la recherche d’un logement temporaire, en échange d’un loyer modique. Pour beaucoup d’entre eux, c’est aussi l’assurance de pouvoir rester plus longtemps à la maison, malgré leur âge ou leur degré de dépendance.

Une cohabitation encadrée

MDLacoste 07112017VJarousseauGénéralement, ce sont des femmes seules, mais quelques hommes ont aussi rejoint l’association qui met en relation les jeunes demandeurs et les hébergeurs. « Les deux tiers des seniors avec qui nous entrons en contact nous sont recommandés par leurs enfants, désireux de sortir leurs parents de la solitude », explique Marie-Dominique Lacoste [photo], directrice de Générations & Cultures depuis 2013. « Parmi les jeunes que nous orientons vers ce type de logement, 65 % sont étudiants et très demandeurs, car ici les résidences universitaires proposent des chambres plutôt vétustes et déprimantes. Quelques-uns sont encore mineurs en quittant leurs parents et préfèrent vivre chez quelqu’un. »

Créée en 1981 à Lille, l’association est née de l’initiative de militants CFDT sous la houlette de Jean-Marie Toulisse, ancien secrétaire national de la CFDT, indigné par ce qu’il voyait dans les hospices de la ville. L’association, alors appelée Vieillir autrement, a d’abord vécu grâce à son réseau de militants. Elle a pu embaucher ses premiers salariés en 1995, avec les emplois jeunes. Rebaptisée Générations et Cultures, l’association intègre le dispositif « Un toit à partager », parmi d’autres actions en lien avec sa mission fondatrice : favoriser le rapprochement de personnes de générations et de cultures différentes. Parmi les jeunes hébergés grâce à l’association, 40 %, venus pour leurs études, résident hors de France et 80 % d’entre eux viennent d’un pays situé en dehors de l’Union européenne.

« Le dispositif est simple, résume Marie-Dominique Lacoste. Un plus de 60 ans, seul ou en couple, héberge un moins de 30 ans, en échange d’un loyer modéré et de quelques moments de convivialité », précise Marie-Dominique. Les principes de cette cohabitation respectueuse sont définis en deux temps : une ou plusieurs rencontres précèdent la décision de vivre ensemble, puis le jeune et le senior signent une charte où figurent les valeurs clés de discrétion, tolérance et solidarité qu’ils s’engagent à respecter. Une convention d’hébergement est alors mise en place pour une durée d’un an au maximum, renouvelable. « On demande aux jeunes de partager au moins deux repas par semaine avec la personne qui les héberge, de discuter un petit quart d’heure en arrivant… Il faut vouloir nouer une relation bienveillante, précise Marie-Dominique. Les liens qui se tissent par la suite dépendent de la personnalité de chacun : il peut s’agir de menus services, comme porter des packs d’eau, sortir la poubelle, aller à la pharmacie ou chercher du pain… Mais on se découvre souvent d’autres compétences à échanger : le senior aide le jeune à rédiger son mémoire, le jeune lui fait découvrir les réseaux sociaux… »

 

De belles histoires

Edwige07112017VJarousseauLe rôle de l’association est aussi d’assurer le suivi des binômes qu’elle a formés : coup de fil au bout de la première semaine, puis chaque mois pour faire le point, et surtout être disponible en permanence en cas de problème rencontré par les uns ou les autres. « Une jeune fille a fait un malaise un soir tard. La personne âgée nous a appelés à son secours pour que nous intervenions… », raconte Marie-Dominique. « Le jeune ne vit pas chez vous, mais avec vous », insiste Claudine, qui a à son actif de belles histoires comme celle d’Ola, une jeune femme syrienne, doctorante en génie civil, qu’elle a hébergée il y a quelques années. Elle ne parlait pas un mot de français et arrivait d’un pays en guerre. « Je devais lui redonner goût à la vie, il fallait parfois que je prenne sur moi, mais je voulais lui redonner espoir  »,se souvient Claudine. Aujourd’hui, Ola occupe un poste à l’université d’Arras. Claudine et elle sont toujours en contact.

Pour la deuxième année, elle héberge Edwige [photo], étudiante à l’Université de Lille 3 en psychologie. À 19  ans, la jeune fille a choisi d’habiter chez Claudine plutôt que dans une chambre d’étudiant : « J’ai besoin d’un cadre, que quelqu’un m’attende. Je mange équilibré, je connais les voisins, le quartier… Bien sûr, en étudiant, on n’a pas toujours la possibilité de donner du temps, mais c’est important de se forcer à sortir de sa bulle… »
Ce soir, elles feront des crêpes. « C’est Edwige qui tient la poêle », s’amuse Claudine, qui se déplace difficilement.

En 2017, 130 binômes se sont formés grâce au dispositif. « Pas autant que nous le souhaiterions faute d’hébergeurs, regrette Marie-Dominique. Pourtant, ça marche. En gardant un rôle dans la société, le senior est valorisé. » Ce qu’Edwige résume aussi à sa manière : « Partager sa vie avec quelqu’un du jour au lendemain est une idée qui dérange souvent les personnes âgées. Pourtant, je suis sûre que si les seniors faisaient une rencontre agréable, ils changeraient d’avis. »  

cnillus@cfdt.fr

©Photos Vincent Jarouseau